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finis, auraient pu faire mon petit bien-être et ma gloire. Au lieu de tout cela, je serai fort heureux de pouvoir arriver au Salon avec notre seul tableau. Mais il est lui-même si peu avancé ! C’est lui, qui est cause de ma ruine ; car, depuis un an, cher ami, j’exerce sur lui ce que faisait Pénélope sur son ouvrage. Depuis ce temps, je n’ai peint qu’un portrait pour une dame, qu’on dit très beau. Avec cela, quel temps précieux perdu, parce que je suis toujours un peu trop dans le monde, (ce qui ne me rapporte rien), et dans une ville de passage.

Enfin, ce tableau, (rotlo di collo[1] à celui qui en a invente le sujet !) m’a donné et me continue un mal qu’il est impossible et incroyable de définir, vu le courage et la triple patience que j’y

  1. Variante, d’après Charles Blanc. Ingres, sa vie, p 83. « Si tu voyais ma vie, elle te ferait pitié ! Il y a bien deux ans que je ne connais d’habitation que mon atelier ; mais depuis six mois, il est devenu ma cage, le témoin de mon désespoir, de mes sueurs et aussi quelquefois de l’espérance de voir ces peines un peu récompensées. Mais je suis blasé, par conséquent je ne vois pas en beau. Enfin ce tableau, rotto di collo à celui qui en à inventé le sujet, il est bien vrai que je l’ai peint trois fois pour une. Je n’ai connu la sécheresse et la froideur du sujet qu’en le faisant, et j’ai dû le recomposer sur la toile ; juge de ma peine ! À l’heure où je t’écris, qui est cinq heures et demie du matin, je l’entends qui me crie : Accours bien vite me finir, car je dois être fait le 25, séché et vu jusqu’au 30, roulé ensuite dans un tuyau de fer blanc, et monter en voiture avec toi, car je ne veux te quitter qu’à Paris. » Cette citation, dont on trouvera la suite du texte au cours de la lettre suivante, prouve que l’auteur d’Ingres, sa Vie, etc. ne consulta que sommairement les archives de Mme Pauline Montct, née Gilibert dont M. Charles Blanc, trop pressé peut-être, orthographie inexactement le nom en écrivant Mostet Gilibert.