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PEER GYNT


AASE (rageusement)

Oui, oui, ça peut se retourner, un mensonge, s’enjoliver de mille façons, se parer si bien qu’on n’en reconnaisse plus la vieille carcasse. C’est bien là ce que tu fais. Tu lui mets des ailes d’aigle et d’autres choses magnifiques ou horribles. À la fin le monde est pris dans ce tissu de contes. Ça vous effraie, ça vous coupe la parole. On ne reconnaît plus une histoire qu’on connaissait depuis longtemps.

PEER GYNT

Si quelqu’un d’autre que toi me disait cela, je l’assommerais.

AASE (pleurant)

Mon Dieu ! si je pouvais mourir et reposer en terre ! Rien ne prend sur lui, ni pleurs, ni prières. Ah ! Peer tu es bien perdu, à tout jamais perdu !

PEER GYNT

Va, petite mère, tu es gentille et tu as raison dans tout ce que tu dis. Ne te fâche pas et sois gaie.

AASE

Tais-toi ! Peut-on être gaie avec un cochon de fils comme toi ? N’est-ce pas dur pour une pauvre veuve d’être ainsi abreuvée de honte ? Voilà toute ma récompense. (Elle pleure de nouveau.) Qu’est-ce qui reste de toutes les richesses de ton grand-père ! Où sont les boisseaux d’argent du vieux Rasmus