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XXII
PRÉFACE

étant insuffisamment protégé par la loi ? Est-ce au goût du public ? De quel public ? Et que sait-on de son goût ? Ou ne serait-ce pas plutôt au goût de l’adaptateur ? N’est-ce pas pour le satisfaire qu’il porte la main sur une œuvre d’art, y changeant ce qui ne lui convient pas, mêlant présomptueusement sa propre personnalité à celle du maître qu’il prétend nous révéler ? Quiconque a le respect de l’art ne peut que protester contre un tel alliage, de quelque nom qu’on l’appelle. Car l’essence même de l’art est de nous faire sentir et connaître l’âme de l’artiste. C’est à cela qu’un traducteur doit tout spécialement s’appliquer, en faisant ressortir les particularités, les côtés saillants que l’adaptateur, lui, cherche, au contraire, à faire disparaître : s’humilier et s’effacer autant que possible devant le poète qu’il traduit est pour un traducteur la seule manière de servir l’art, de faire œuvre d’artiste. Il y a dans cette piété une grâce qui se sent, parce que tout se sent en art, si modestement qu’il se manifeste. Pour qu’elle produise cependant tout son effet, il faut que le traducteur soit lui-même un poète ayant l’intelligence et l’amour des belles choses et sachant, quand il nous les montre, se placer de façon à ce