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PEER GYNT

Tiens ! je vois un ruisseau d’eau pure où je peux boire.
Être roi des forêts, c’est encor de la gloire.
À l’instant de mourir, ne puis-je pas toujours
Contre un arbre abattu me blottir comme un ours,
Et, sur sa vieille écorce, en un effort suprême,
Me tracer une fière épitaphe à moi-même :
« Ci-gît Peer Gynt, gaillard alerte et grand coureur.
Des fauves de ces bois, il est mort empereur. » ?
Empereur ?

(Il rit en dedans.)

Empereur ?Ah ! vieux fou, toujours la fanfreluche !
Tu n’es plus aujourd’hui qu’un oignon qu’on épluche.
Et je vais t’éplucher, Peer Gynt, mon bel ami.
Tu sais, je ne fais pas les choses à demi.

(Il prend un oignon et en arrache toutes les pelures, une à une.)

D’abord une pelure, en lambeaux que j’enlève :
Le triste naufragé rejeté sur la grève.
Puis une autre, minable et piteuse d’aspect :
Le passager vantard, prometteur et suspect,
Qui sent déjà son Gynt. Cette feuille jaunie,
C’est le maigre chercheur d’or en Californie.
Et cette autre, dessous, dure, au bord recourbé,
C’est le rude chasseur des phoques d’Hudson-bay.
Une couronne ? Ah ! bah ! la farce est pitoyable !
Arrachons cette feuille et la jetons au diable !
Courte et forte, — c’est Peer le sondeur d’inconnu.
Et voici le Prophète : il est frais et charnu,
Mais il sent le mensonge, ainsi que dit la Bible.
On en pleure, vraiment, tant l’odeur est horrible.