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THÉATRE

lundestad. — Il a surtout l’art de séduire les masses, comme il a l’avantage de n’être gêné ni par son caractère, ni par ses convictions, ni par sa situation sociale ; il lui est très facile d’être libéral.

bratsberg. — Il me semble pourtant que nous aussi nous sommes libéraux.

lundestad. — Oui par Dieu, monsieur le chambellan, nous sommes libéraux, cela ne fait aucun doute ; mais, nous ne sommes libéraux qu’à notre manière, tandis que voilà Stensgard qui, lui, est libéral à la manière des autres, et voilà ce qui change la situation.

bratsberg. — Et vous voulez favoriser cette œuvre de bouleversement ?

lundestad. — J’ai lu dans de vieux livres d’histoire qu’il y avait autrefois certains hommes qui avaient le pouvoir d’évoquer les fantômes, mais qui ne pouvaient pas les chasser.

bratsberg. — Mais, mon cher Lundestad, comment pouvez-vous, vous qui êtes un homme éclairé, croire… ?

lundestad. — Je sais bien que c’est de la superstition, monsieur le chambellan, mais il en est des idées neuves comme des spectres, on ne peut pas les chasser quand on les a évoquées ; c’est pourquoi on doit s’efforcer de s’en accommoder le mieux que l’on peut.

bratsberg. — Oui, mais maintenant que Monsen est tombé et certainement avec lui sa honte de perturbateur…

lundestad. — Si Monsen était tombé deux ou trois jours plutôt, bien des choses se seraient passées autrement.

bratsberg. — Tant pis, vous vous êtes trop hâté.