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LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

mais qu’y-a-t-il ? Qu’avez-vous ? Vous êtes tout pâle ; vous avez l’air troublé !

BERNICK. — Moi ! je suis ?… Comment pourrait-il en être autrement au milieu de ces événements déchaînés contre moi ? Mes intérêts commerciaux… ce chemin de fer… Voulez-vous me permettre de vous poser une question, monsieur le vicaire ?

RORLUND. — Avec le plus grand plaisir, monsieur le consul.

BERNICK. — Il me vient une pensée. Quand on se trouve en présence d’une entreprise très considérable, dont le but est d’assurer le bien-être de milliers de gens ; quand cette entreprise exige une victime…

RORLUND. — Que voulez-vous dire ?

BERNICK. — Prenons un exemple. Vous voulez construire une grande fabrique ; vous savez avec certitude que tôt ou tard cette fabrique sera une cause d’accidents mortels…

RORLUND. — Cela n’est que trop vraisemblable, en effet.

BERNICK. — Ou bien encore, si vous exploitez une mine, vous prenez tout aussi bien des pères de famille que des jeunes gens et vous avez pourtant la certitude qu’ils ne résisteront pas tous à cette vie ?

RORLUND. — Vous avez raison, hélas !

BERNICK. — Bien ; on sait donc toujours d’avance qu’une entreprise coûtera tôt ou tard quelques existences humaines. Mais cette entreprise est dans l’intérêt général. Chaque vie sera payée par le bien-être de centaines et de milliers de gens.

RORLUND. — C’est au chemin de fer que vous faites