Page:Ibsen - Les Revenants, La Maison de poupée, trad. Prozor, 1892.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
NOTICE SUR LES REVENANTS

qui veut le sauver qu’à tout jeter par-dessus bord, jusqu’aux principes les plus sacrés, pourvu qu’il vive ! Et il ne peut pas vivre. Régine, la vie, la vie brutale et si séduisante pour qui s’en va, Régine ne veut pas de lui. Ah ! elle se moque bien des idées de dévouement et de charité. Elle est ce qu’on l’a faite en lui donnant le jour dans les circonstances où elle est née et qui lui sont subitement révélées. « Ainsi ma mère en était une, et mon père est le père d’Oswald. J’ai donc autant de droits que lui à jouir de la vie, seulement je saurai mieux m’y prendre. » Et qui donc lui a enseigné à sentir autrement ? C’est la bête, elle aussi, la bête que n’a pu changer une éducation impuissante parce qu’elle ignore la nature. C’est le bel animal, né câlin et égoïste, que doit rendre l’artiste chargée de ce rôle. Je l’ai vu jouer par une aimable et jolie fille qui ne semblait soupçonner là aucune difficulté, bien que ce ne fût qu’une actrice de troisième ordre. Il n’en sera peut-être que plus difficile pour une nature autrement façonnée. Ce dont elle devra se souvenir, en ce cas, c’est que Régine est la vie, la force et le plaisir dans leur plus simple et plus redoutable expression.

En relief sur le fond terne d’un paysage « que voile un brouillard éternel » et où le soleil n’apparaît qu’un instant, — le dernier, — ces personnages sont tous les cinq des figures de premier plan : on dirait des spectres. Et on croit reconnaître dans toute la pièce, à commencer par le titre, — car tout, dans Ibsen, s’ordonne en une mystérieuse harmonie, — la trace d’une vision qui lui a représenté sous un jour sinistre le coin reculé vers lequel ses regards reviennent sans cesse, — sa froide et lointaine patrie.