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NOTICE SUR LES REVENANTS

touché à des cordes plus profondes. Les creuses déclamations, les sentimentalités vagues n’ont pas de prise dans ces pays. C’est qu’à côté d’une grande sensibilité règne un sens clair et délicat, qui est comme le tout dans les choses de l’intelligence. Avide de jouissances où l’imagination, la sensibilité, quelquefois même les sens, ont leur part mesurée, le Scandinave admet toutes les hardiesses faites pour tenir son être moral en éveil : car la torpeur lui est odieuse. Dans ce sens, Ibsen personnifie admirablement le génie scandinave. Ce génie s’est nourri d’enseignements autrement subversifs que les siens. Mais ils ne l’ont jamais fait descendre de son domaine idéal. S’il adore le trouble de l’âme et des passions intimes, il déteste le désordre des rues. Il peut appeler des transformations sociales et même les préparer, il ne les précipitera pas par la violence. Ses idées amènent les réformes avec une telle puissance que les gouvernements n’essaient pas de leur résister. Mais le laboratoire où elles se préparent est loin de la place publique. École, temple ou théâtre, il porte le même caractère, exerce la même attraction, répond au même besoin. Et le professeur, le prêtre, le dramaturge ont la même méthode à observer, le même chemin à suivre : par l’intelligence au cœur et par le cœur à l’intelligence. Le résultat, s’il est heureux, a de quoi satisfaire l’amour-propre le plus exigeant. Presque dans tous les domaines, celui qu’on écoute devient un apôtre, ceux qui écoutent des prosélytes, et l’admiration prend des allures de fanatisme.

Si l’on se représente maintenant ce fanatisme professé par des femmes dont l’œil bleu s’anime sans perdre de sa douceur, dont le front se lève vers le poète, clair et confiant, dont tout l’être vibre sans