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NOTICE SUR LES REVENANTS

faciles à découvrir à qui examine sa vie et son œuvre, n’indique-t-il pas en lui l’ennemi des utopies rivales, celles qui n’ont en vue la destruction de l’ordre établi qu’au profit d’un ordre nouveau organisé par leurs adeptes. Il y a là, aux yeux d’Ibsen, outre un cercle vicieux venant de ce que toute organisation n’a qu’une valeur relative et temporaire, une source d’ambitieuses prétentions, un manteau commode pour les calculs les plus intéressés. Il faut avouer que l’histoire des révolutions a donné raison, jusqu’à présent, à cette manière de voir. Aussi les a-t-il en horreur. N’oublions pas qu’Ibsen est d’un pays où les principes de 1789 ont passé à l’état de dogme officiel, sévèrement observé, consacré par les institutions, gravement professé par les couches dirigeantes. Les titres de noblesse, abolis en Norvège, n’y ont pas été rétablis. Une censure morale pèse sur les mœurs, en bannit le luxe apparent et impose une dissimulation prudente au plaisir comme à la vanité, qui s’y astreignent sans abdiquer. Arborer des brochettes dans une société de puritains peut être aussi crâne que l’a été, à un moment donné, l’action de planter sur sa tête le bonnet phrygien et d’orner sa boutonnière de la cocarde tricolore. La modestie habituelle du poète, sa vie simple et laborieuse et son goût pour la solitude sont un sûr garant que tel est son sentiment, qu’il n’obéit pas à une puérile vanité et qu’il fait véritablement acte d’indépendance en témoignant de son dédain pour les superstitions doctrinaires. Il y a là une interversion que l’on saisira sans peine.

J’ai déjà indiqué les mobiles qui attirent Ibsen du côté de certains groupes sociaux. Comparés aux cercles dont il s’est affranchi dans sa jeunesse, ils représentent