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vins du coin, pour commander le déjeuner, Léo alluma un grand feu de sarments et comme Marthe, assise sur la chauffeuse, relevait un peu la tête, il baisa à gorgées lentes, son cou, ses lèvres et ses yeux qui, se fermant, palpitèrent sous la chaude haleine de sa bouche. Il songeait aux exploits du fils de Jupiter et d’Alcmène, à Hercule, tueur de monstres, quand Romel entra, suivi d’un garçon qui charroyait dans une serviette et mangers et vins. Il dressa la table et partit. Léo et Marthe étaient en face l’un de l’autre, elle, mangeait avec appétit, lui, ne bougeait, l’écoutant faire sonner le doux carillon des mâchoires ; l’eau sifflait dans la bouillotte, elle la versa sur le café, puis ils se rapprochèrent et dans l’intervalle du bruissement de leurs lèvres, l’eau chanta s’égouttant au travers du filtre. À l’étage du dessous, une pianiste tapotait un air de Faust. Au dehors une voix de pauvresse, alternant avec le clapotis du piano, s’élevait, dans un silence d’hiver, célébrant la gloire de l’amour, et les ineffaçables victoires du petit « Dardant ». Ils étaient engourdis par la chaleur des braises ; aucun d’eux n’eût le courage d’ouvrir la fenêtre et de jeter un sou. Ils s’assoupirent à écouter ce chant monotone ;