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À vrai dire, elles n’étaient pas gaies. Ce garçon s’était affranchi de bonne heure de la servitude maternelle et il avait tant mésusé de la liberté acquise que, vengeresse des mœurs, la débauche l’avait flétri, corps et âme. Se sentant un vrai talent que devaient apprécier les artistes et honnir les bourgeois, il s’était jeté, tête baissée, dans le marécage des lettres. Il n’y avait malheureusement pas un pied d’eau à l’endroit où il avait plongé ; il se meurtrit si violemment sur les pierres du fond qu’il se releva découragé avant même que d’avoir tenté de gagner le large. Il vivait de sa plume, autrement dit, il vivait de faim. À force de tourmenter l’idée, d’essayer de rendre les bizarreries qui le hantaient, les nerfs se tendirent et une immense fatigue l’accabla. De temps à autre, dans les bons moments, il écrivait une page fourmillant de grotesques terribles, de succubes, de larves à la Goya, mais le lendemain, il se trouvait incapable de jeter quatre lignes et peignait, après des efforts inouïs, des figures vagues qui défiaient l’analyse et qui échappaient à l’étreinte de la critique.

Ce qu’il rêvait comme un excitant d’esprit, comme un coup de gong qui réveillerait son talent