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rière sur le trottoir, les pieds dans le ruisseau, ils avalèrent goulûment leur bâfre.

Marthe frémit à la vue d’un vieillard qui buvait sa soupe à même d’une chaufferette et elle regarda, toute interdite, ce visage feutré d’une barbe grise, ces yeux clignotants et troubles, ce nez qui perçait, tout praliné de rouge, la croûte flasque et comme morte des joues. Ce crâne peluché, ces loques cousues avec des ficelles, ces habits couleur de bouse, cette culotte mangée des mites, étoilée de trous, cuirassée de fange, ce gilet racorni, rongé, ratatiné par tous les soleils et par toutes les pluies, ces savates sans nom, éculées et avachies, ouvrant, pour laisser passer l’orteil, des lucarnes de cuir roux ; cette figure enfin, ravagée par tous les excès, ce hideux tremblotement des jambes, ces mains qui dansaient toutes seules, sans que l’homme les remuât, l’émurent d’une poignante pitié, et elle blêmit alors que le mendiant s’approcha d’elle et lui dit à voix basse :

— Tu ne me reconnais pas, je suis Ginginet.

— Oh ! fit-elle, abasourdie, comment, c’est toi ! Et tu en es arrivé là !

— Il a bien fallu, j’ai tout mangé, j’ai tout bu, j’ai fait faillite comme un vrai commerçant ; rati-