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les filles luttaient entre elles de bêtise et d’entrain. Elles sautaient, se trémoussaient, se tordaient, les lèvres éclaboussées de laque rose, les dents frottées de ponce ! Fouettées par le vin, éperonnées par l’alcool, elles hennissaient, regimbantes, ou s’abattaient fourbues et veules sur les divans.

D’autres fois, au terme de la veillée, vers trois heures du matin, alors que toutes les femmes demandaient aux hommes de leur dire l’heure et persistaient à les étourdir de l’éternel refrain : tu payes à boire ! un monsieur entrait et disait à l’une d’elles : « va t’habiller, je t’emmène, » et il s’installait, les jambes croisées, fumant son cigare, attendant que son achat lui fût remis, empaqueté dans de l’étoffe noire ; l’on entendait alors des appels dans l’escalier, la femme demandant une chemise à Madame, attachant avec des épingles les jupes qu’on lui prêtait ; elle descendait enfin, débarrassée de son rouge et de sa poudre, et allait embrasser ses camarades comme si, partant la nuit, à l’aventure, elle craignait de ne les plus revoir. On sortait, et appuyée sur la rampe, la loueuse criait de sa voix brève : « Je t’attends demain à midi, ne t’amuse pas en route. »