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lorgnon, examinait le doigt de chaque femme assise à côté d’un homme pour voir si elle avait l’anneau et disait tout bas à Cyprien : — Elle n’est pas mariée, tu sais !

Et pourtant, certains jours, il était harcelé comme par un remords. Il se promettait d’être plus aimable pour Céline et il la prenait dans ses bras lorsqu’elle entrait chez lui, jouait avec elle comme avec une jeune chienne, fumait une cigarette qu’ils se partageaient bouffées par bouffées, et, assis près du poêle, il la laissait narrer les histoires de sa famille, les débats qu’elle avait eus avec ses camarades.

Quelquefois elle exhalait de gros chagrins, pleurait à petits coups et Cyprien, malgré sa résolution d’être calme, finissait par la piquer de mots aigus. Elle lui répondit, une fois qu’il la suppliait de réserver ses larmes pour les jours où elle ne viendrait pas chez lui : — À qui veux-tu que je raconte mes peines si ce n’est à toi ?

Mais, où leur amour craquait, c’était par ces jours de grande tourmente quand le peintre s’habillait pour aller à une soirée ou à un bal. Pour elle, un salon était une sorte de bastringue de luxe, où on levait des femmes. Il avait beau lui dire : Mais ce n’est pas cela ! — Elle hochait la tête d’un air défiant, et la haine de la plébéienne pour la femme bourgeoise éclatait avec des mots