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descendait, inspectait encore la rue à gauche, à droite ; aucune connaissance n’apparaissant, elle se déterminait enfin à prendre son élan.

Ces soirs-là, par exemple, elle était d’humeur contrariante, se laissait à peine embrasser, répondait à son amoureux, lorsque, la voyant si soucieuse et si pâle, il lui demandait : qu’est-ce que tu as ? Tu es malade ? — un non maussade, se mettait en colère quand il insistait, lui répétant : Mais puisque je te dis que je n’ai rien ! — Et elle se plaignait dix minutes après d’avoir froid, se secouait les épaules et, bien qu’il commandât du vin chaud pour la ragaillardir, elle se taisait, absorbée, n’insistait pas pour demeurer, quand, inquiet de la voir ainsi, le jeune homme lui proposait de la reconduire.

Après l’avoir quittée, il retournait chez lui, se sentait un grand vide. Il aurait voulu, en rentrant, avoir une chambre tiède, une femme dont le sommeil se réveillerait en une question affectueuse et douce ; il aurait voulu, en allumant la chandelle, voir sourire à son arrivée la femme qui s’était endormie, en l’attendant ; il se rappelait mot pour mot cette image de bien-être, de bonheur, que Céline avait évoquée, le jour où elle l’invitait à épouser sa sœur. Lorsqu’il croisait sur le boulevard de Mazas quelques gens attardés qui marchaient bon pas, il les enviait,