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ateliers, ils arrivaient pour boire sans bourse délier, ne se livraient, au demeurant, à aucune besogne utile, pipaient dans la cour ou pionçaient derrière les ballots ; il avait résolu de ne plus ouvrir ses magasins le dimanche. Dispensé de monter une presse, ce matin-là, Auguste pouvait rejoindre Désirée vers les neuf heures.

Les réunions se succédèrent. Le temps se maintenait au froid, mais la pluie ne tombait plus. Désirée ne fut pas tout d’abord fâchée de franchir les limites de l’arrondissement de Montrouge. Cela la changeait, la rue du Contentin commençait d’ailleurs à l’ennuyer avec son éternelle tristesse de rue délaissée ; elle eut, enfin, pendant les premiers jours, le plaisir de traverser des boulevards et des rues où elle n’allait pas d’ordinaire plus de deux fois par an.

Arrivée au boulevard Saint-Michel, elle le descendait lentement, quand elle n’avait pas de retard, badaudait devant les marchands de chaussures, s’extasiait devant des brodequins couleur hanneton et puce, devant des petits souliers bas, à hauts talons et à bouffettes, devant des bottines en étoffes grossières et teintes en vert, en bleu, en rouge crus, passementées et lacées de chenilles d’or faux, cherchant quelles femmes pouvaient bien les acheter, se faisant la réflexion qu’une