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Vatard relevait le nez, se crispait les poings, invoquait le ciel et il ne bougeait, contemplant Eulalie dont le ventre jetait sur les murs une ombre de bonbonne. Il crut toujours que ce parti pris de Désirée de s’enfermer dans sa chambre était une protestation muette contre son refus. Il se trompait. Il y avait bien un peu de cela, mais le véritable motif était autre. L’enfant se mettait à la fenêtre et regardait le pont suspendu ; Auguste venait s’y installer, et là, trop éloignés pour se parler, ils se faisaient des signes, se lançaient des baisers, des clins d’yeux, des rires. Cela durait jusqu’à ce que la nuit tombât et parfois leurs signaux étaient interrompus par le passage des trains. Auguste disparaissait tout à coup, comme dans un nuage, puis, quand la fumée s’envolait, s’écardant comme des flocons d’ouate, le jeune homme continuait à lui envoyer des bécots avec les doigts. Si fureteur qu’il pût être, Vatard n’avait pas encore éventé ce truc, mais il connaissait en revanche Auguste et son œil. À voir toujours le même individu rôder autour de sa demeure, il lui avait été facile de deviner comment s’appelait cet homme.

En attendant, le mutisme obstiné de Désirée, ses allures anonchalies, son indifférence toujours croissante à soigner les plats, jetèrent Vatard dans des rages sourdes qui compromirent ses