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son amoureuse, se postait dans la rue, déchiffrant les affiches collées sur les murs, examinant ces charretées boueuses de fruits que des femmes dont les sabots clapotent poussent le long des trottoirs, et quand il l’apercevait au loin, trottinant, son sac de cuir au bras, il s’élançait au-devant d’elle, l’emmenait dans une des petites rues adjacentes, à moitié désertes, et là ils s’embrassaient en se laçant les bras autour des épaules. Ils n’avaient plus qu’un but, tromper la surveillance de Vatard qui, devenu très soupçonneux, venait chercher sa fille à la sortie de l’atelier, et ne s’absentait plus le soir de peur qu’elle ne décampât.

La vie était devenue insupportable pour les uns comme pour les autres. À table, Désirée ne desserrait plus les dents, mangeait à peine, chipotant sur chaque morceau, laissant son verre toujours plein, rêvassant, soupirant des Jésus-mon-Dieu, des hélas ! Qui vous coupaient l’appétit. Céline grognait, et, lorsqu’elle crachait un noyau de prune, elle le jetait véhémentement dans l’âtre, se levait et, avec un regard de défi, faisait claquer les portes. Vatard baissait les yeux, craignant d’entamer une querelle ; alors Désirée se levait à son tour, pliait sa serviette et, droite, sans se retourner, entrait dans sa chambre qu’elle fermait à clef.