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à des hauteurs plus inouïes ; puis, elle agissait encore sur Durtal, par son art extatique et intime, par la splendeur de ses légendes, par la rayonnante naïveté de ses vies de Saints.

Il n’y croyait pas et cependant il admettait le surnaturel, car, sur cette terre même, comment nier le mystère qui surgit, chez nous, à nos côtés, dans la rue, partout, quand on y songe ? Il était vraiment trop facile de rejeter les relations invisibles, extrahumaines, de mettre sur le compte du hasard qui est, lui-même, d’ailleurs indéchiffrable, les événements imprévus, les déveines et les chances. Des rencontres ne décidaient-elles pas souvent de toute la vie d’un homme ? Qu’étaient l’amour, les influences incompréhensibles et pourtant formelles ? — Enfin la plus désarçonnante des énigmes n’était-elle pas encore celle de l’argent ?

Car enfin, on se trouvait là en face d’une loi primordiale, d’une loi organique atroce, édictée et appliquée depuis que le monde existe.

Ses règles sont continues et toujours nettes. L’argent s’attire lui-même, cherche à s’agglomérer aux mêmes endroits, va de préférence aux scélérats et aux médiocres ; puis, lorsque par une inscrutable exception, il s’entasse chez un riche dont l’âme n’est ni meurtrière, ni abjecte, alors il demeure stérile, incapable de se résoudre en un bien intelligent, inapte même entre des mains charitables à