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mître en tête, et il interrogeait la postulante, revenue à sa place, agenouillée devant lui, derrière la grille.

Il parlait à voix basse ; on ne pouvait l’entendre. Toute la chapelle se penchait pour écouter la novice prononcer ses vœux, mais l’on ne percevait qu’un long murmure. Durtal se rappelait qu’il avait joué des coudes, qu’il était parvenu à s’approcher du chœur et que, là, au travers des barres croisées de la herse, il avait aperçu la femme en blanc, étendue à plat ventre, dans un cadre de fleurs ; et tout le couvent défilait, en se courbant sur elle, entonnait le chant des trépassés, l’aspergeait d’eau bénite, comme une morte !

C’est admirable ! s’écria-t-il, soulevé dans la rue par le souvenir de cette scène, — et il se disait : la vie ! la vie de ces femmes ! coucher sur une paillasse piquée de crins, sans oreiller ni draps ; jeûner sept mois de l’année sur douze, sauf les dimanches et les jours de fêtes ; toujours manger, debout, des légumes et des aliments maigres ; rester sans feu, l’hiver ; psalmodier pendant des heures, sur des dalles glacées ; se châtier le corps, être assez humble pour, si l’on a été douillettement élevée, accepter avec joie de laver la vaisselle, de vaquer aux besognes les plus viles ; prier, dès le matin, toute la journée jusqu’à minuit, jusqu’à ce que l’on tombe en défaillance, prier ainsi jusqu’à la mort ! Faut-il qu’elles aient pitié de nous et qu’elles tiennent à expier l’imbécillité de ce monde qui les traite d’hystériques et de folles, car il est inapte à comprendre les joies suppliciées de telles âmes !

On ne se sent pas très fier de soi, quand on songe aux Carmélites et même à ces humbles Franciscaines qui