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âmes des moines et dégelant, peu à peu, les glaces de son pauvre être ?

Et puis ce n’était même pas cela ! ce qui était vraiment navrant, vraiment affreux, c’était de penser que jamais plus sans doute il n’éprouverait cette admirable allégresse qui vous soulève de terre, vous porte on ne sait où, sans qu’on sache comment, au-dessus des sens !

Ah ! ces allées de la Trappe parcourues dès l’aube, ces allées où, un jour, après une communion, Dieu lui avait dilaté l’âme de telle sorte, qu’il ne la sentait même plus sienne, tant le Christ l’avait noyée dans la mer de sa divine infinité, engloutie dans le céleste firmament de sa Personne !

Comment réintégrer cet état de grâce, sans communion et hors d’un cloître ? Non, c’est bien fini, conclut-il.

Et il fut pris d’un tel accès de tristesse, d’un tel élan de désespoir, qu’il rêva de descendre à la première station et de retourner à la Trappe ; et il dut hausser les épaules car il n’avait ni le caractère assez patient, ni la volonté assez ferme, ni le corps assez résistant pour supporter les terribles épreuves d’un noviciat. D’ailleurs, la perspective de n’avoir pas de cellule à soi, de coucher tout habillé, pêle-mêle, dans un dortoir, l’épouvantait.

Mais quoi alors ? Et douloureusement, il se résumait,

— Ah ! se disait-il, j’ai vécu vingt années en dix jours dans ce couvent et je sors de là, la cervelle défaite et le cœur en charpie ; je suis à jamais fichu. Paris et Notre-Dame-de-l’Atre m’ont rejeté à tour de rôle comme une épave et me voici condamné à vivre dépareillé, car je suis encore trop homme de lettres pour