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commerçants. Un abbé fondait, avec les quelques sous qu’il réussissait à se procurer, une fabrique ; il décernait l’emploi qui convenait à chacun de ses moines et il improvisait avec eux des artisans, des commis aux écritures, transformait un professeur de plain-chant en un placier, se débrouillait dans la bagarre des achats et des ventes et, peu à peu, la maison, qui ne s’élevait qu’au ras du sol, grandissait, poussait, finissait par nourrir de ses fruits l’abbaye qui l’avait plantée.

Transportés dans un autre milieu, ces gens-là eussent tout aussi facilement créé de grandes usines et lancé des banques. Et il en était de même des femmes. Quand on songe aux qualités pratiques d’homme d’affaires et au sang-froid de vieux diplomate que doit posséder, pour régir sa communauté, une mère abbesse, l’on est bien obligé de s’avouer que les seules femmes vraiment intelligentes, vraiment remarquables, sont, hors les salons, hors le monde, à la tête des cloîtres !

Et comme il s’étonnait, tout haut, que les moines fussent si experts à monter des entreprises.

— Il le faut bien, soupira le père ; mais si vous croyez que nous ne regrettons pas le temps où l’on pouvait se suffire, en piochant la terre ! on avait l’esprit libre, au moins ; on pouvait se sanctifier dans ce silence qui est aussi nécessaire que le pain au moine, car c’est grâce à lui que l’on étouffe la vanité qui surgit, que l’on réprime l’indocilité qui murmure, que l’on refoule toutes les aspirations, toutes les pensées vers Dieu, que l’on devient enfin attentif à sa Présence.

Au lieu de cela… mais nous voici à la gare ; ne vous occupez pas de votre valise et allez prendre vo-