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vie régulière et paisible ; toujours est-il que, dans ce petit noyau de catholiques, la vocation Cistercienne est très fréquente.

Durtal regardait ce trappiste qui marchait, majestueux et tranquille, la tête enfouie dans son capuce, les mains passées sous sa ceinture.

Par instants, ses yeux éclairaient dans l’intérieur du capuchon et l’améthyste qu’il portait au doigt pétillait en de brèves flammes.

L’on n’entendait aucun bruit ; à cette heure, la Trappe dormait. Durtal et l’abbé longeaient les rives du grand étang dont l’eau vivait, seule éveillée dans le sommeil de ces bois, car la lune qui resplendissait dans un ciel sans nuées l’ensemençait d’une myriade de poissons d’or ; et ce frai lumineux tombé de l’astre montait, descendait, frétillait en de milliers de cédilles de feu dont le vent qui soufflait activait les lueurs.

L’abbé ne causait plus et Durtal qui rêvait, grisé par la douceur de cette nuit, gémit subitement. Il venait de s’aviser qu’à pareille heure, le lendemain, il serait à Paris et, voyant le monastère dont la façade apparaissait, toute pâle, au fond d’une allée, ainsi qu’au bout d’un tunnel noir, il s’écria, songeant à tous ces moines qui l’habitaient :

— Ah ! ce qu’ils sont heureux !

Et l’abbé répondit : trop.

Puis, doucement, à voix basse :

— C’est pourtant vrai ; nous entrons ici pour faire pénitence, pour nous mortifier et nous avons à peine souffert que déjà Dieu nous console ! Il est si bon qu’il veut se leurrer, lui-même, sur nos mérites. S’il tolère