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voulut se visiter, voir où il en était ; et de même qu’un marin, qui, dans un navire où s’est déclarée une voie d’eau, descend à fond de cale, il dut rétrograder, car l’escalier était coupé, les marches s’ouvraient sur un abîme.

Malgré la terreur qui le galopait, il se pencha, fasciné, sur ce trou et, à force de fixer le noir, il distingua des apparences ; dans un jour d’éclipse, dans un air raréfié, il apercevait au fond de soi le panorama de son âme, un crépuscule désert, aux horizons rapprochés de nuit ; et c’était, sous cette lumière louche, quelque chose comme une lande rasée, comme un marécage comblé de gravats et de cendres ; la place des péchés arrachés par le confesseur restait visible, mais, sauf une ivraie de vices sèche qui rampaient encore, rien ne poussait.

Il se voyait épuisé ; il savait qu’il n’avait plus la force d’extirper ses dernières racines et il défaillait, à l’idée qu’il faudrait encore s’ensemencer de vertus, labourer ce sol aride, fumer cette terre morte. Il se sentait incapable de tout travail, et il avait en même temps la conviction que Dieu le rejetait, que Dieu ne l’aiderait plus. Cette certitude le ravina. Ce fut inexprimable ; — car rien ne peut rendre les anxiétés, les angoisses de cet état par lequel il faut avoir passé pour le comprendre. L’affolement d’un enfant qui ne s’est jamais éloigné des jupes de sa mère et que l’on abandonnerait sans crier gare, en pleine campagne, à la brune, pourrait seul en donner un semblant d’idée ; et encore, en raison même de son âge, l’enfant, après s’être désolé, finirait-il par se calmer, par se distraire de son chagrin, par ne plus percevoir le danger qui l’entoure, tandis que, dans cet