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— Le mystère demeurait entier ; aucun médecin n’avait pu et ne pouvait découvrir la psyché dans les cellules rondes ou fusiformes, dans les matières blanches ou les substances grises du cerveau. Ils reconnaissaient plus ou moins justement les organes dont l’âme se servait pour tirer les fils du pantin qu’elle était condamnée à mouvoir, mais, elle, restait invisible ; elle était partie, alors qu’ils forçaient les pièces de son logis, après la mort.

Non, ces racontars-là n’agissent pas sur moi, se confirma Durtal.

— Et celui-ci, agit-il mieux ? crois-tu à l’utilité de la vie, à la nécessité de cette chaîne sans fin, de ce touage de souffrances qui se prolongera, pour la plupart, même après la mort ? la vraie bonté, elle eût consisté à ne rien inventer, à ne rien créer, à laisser tout en l’état, dans le néant, en paix !

L’attaque pivotait sur elle-même, revenait toujours, après d’apparents détours, au même rond-point.

Durtal baissa le nez, car cet argument le dématait ; toutes les répliques que l’on pouvait imaginer étaient d’une faiblesse insigne et la moins étique, celle qui consiste à nous dénier le droit de juger, parce que nous ne pouvons percevoir que des détails du plan divin, parce que nous ne possédons sur lui aucune vue d’ensemble, ne prévalait pas contre la terrible phrase de Schopenhauer : « si Dieu a fait le monde, je ne voudrais pas être ce Dieu, car la misère du monde me déchirerait le cœur ! »

Il n’y a pas à barguigner, se disait-il, j’ai beau saisir que la Douleur est le vrai désinfectant des âmes, je suis pourtant obligé de me demander pourquoi le Créateur n’a pas inventé un moyen de nous purifier moins atroce.