Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Durtal emporta sa tablette dans le jardin. Réfléchissons, se dit-il, en la grignotant ; si je longeais une autre route, si j’allais me promener dans la partie du bois que j’ignore. Et il n’en eut aucun désir. — Non, dans l’état où je suis, j’aime mieux hanter le même endroit, ne point quitter les lieux où j’ai fixé mes habitudes ; je suis déjà si peu coordonné, si facilement épars, que je ne veux pas risquer de me désunir dans la curiosité de nouveaux sites. Et il s’en fut près de l’étang en croix.

Il remonta le long de ses rives et quand il eut atteint le sommet, il s’étonna de rencontrer, à quelques minutes de là, un ruisseau moucheté de pellicules vertes, creusé entre deux haies qui servaient de clôture au monastère. Plus loin, s’étendaient des champs, une vaste ferme dont on entrevoyait les toits dans des arbres, et, partout, à l’horizon, sur des collines, des forêts qui semblaient arrêter la marche en avant du ciel.

— Je me figurais ce territoire plus grand, se dit-il, en revenant sur ses pas et lorsqu’il eut regagné le haut de l’étang en croix, il contempla l’immense crucifix de bois, dressé en l’air et qui se réverbérait dans cette glace noire. Il s’y enfonçait, vu de dos, tremblait dans les petites ondes que plissait le vent, paraissait descendre en tournoyant dans cette étendue d’encre. Et l’on n’apercevait de ce Christ de marbre dont le corps était caché par son bois, que les deux bras blancs qui dépassaient l’instrument de supplice et se tordaient dans la suie des eaux.

Assis sur l’herbe, Durtal regardait l’obscur miroir de cette croix couchée et, songeant à son âme qui était, ainsi que cet étang, tannée, salie, par un lit de feuilles