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la méritiez — mais enfin, il y a là une question de sentiment que je respecte — vous penseriez de lui, en somme : il vit ainsi que moi, il ne se prive pas plus que moi, rien ne me prouve que sa conscience soit bien supérieure à la mienne ; et, de là, à perdre toute confiance et à tout quitter, il n’y a qu’un pas. À la Trappe, je vous défie bien de raisonner ainsi, de ne point devenir humble. Quand vous verrez des hommes qui, après avoir tout abandonné pour servir Dieu, mènent une vie de privations et de pénitence telle qu’aucun gouvernement n’oserait l’infliger à ses forçats, vous serez bien obligé de vous avouer que vous n’êtes pas grand’chose à côté d’eux !

Durtal se taisait. Après la stupeur qu’il avait éprouvée à s’entendre proposer une issue pareille, il s’était sourdement irrité contre cet ami qui, si discret jusqu’alors, s’était subitement rué sur son être et l’avait violemment ouvert. Il en avait sorti la dégoûtante vision d’une existence dépareillée, usée, réduite à l’état de poussier, à l’état de loque ! — Et Durtal se reculait de lui-même, convenait que l’abbé avait raison, qu’il fallait pourtant bien étancher le pus de ses sens et expier leurs appétits inexigibles, leurs convoitises abominables, leurs goûts cariés ; et il était pris alors d’une peur irraisonnée, intense. Il avait le vertige du cloître, la transe attirante de cet abîme sur lequel Gévresin le faisait pencher.

Énervé par cette cérémonie d’une prise de vêture, étourdi par le coup que lui avait, en sortant, asséné le prêtre, il ressentait maintenant une angoisse presque physique dans laquelle tout finissait par se confondre.