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prêté de l’argent sans intérêts et sans caution ! pas si bête ; les affaires avant tout, donnant, donnant, et puis, quel respect il témoignait aux gens riches ! — Aussi, est-il mort révéré de ses enfants, auxquels il laisse des placements de père de famille, des valeurs sûres !

— Tu te le rappelles, grand-père, mon chéri ?

— Nan, nan, grand-père ! crie le gosse qui se barbouille de crème ancestrale les joues et le nez.

— Et ta grand’mère, tu te la rappelles aussi, mon mignon ?

L’enfant réfléchit. Le jour de l’anniversaire du décès de cette brave dame l’on prépare un gâteau de riz que l’on parfume avec l’essence corporelle de la défunte qui, par un singulier phénomène, sentait le tabac à priser lorsqu’elle vivait et qui embaume la fleur d’oranger, depuis sa mort.

— Nan, nan aussi, grand’mère ! s’écrie l’enfant.

— Et lequel tu aimais le mieux, dis, de ta grand’maman ou de ton grand-papa ?

Comme tous les mioches qui préfèrent ce qu’ils n’ont pas à ce qu’ils touchent, l’enfant songe au lointain gâteau et avoue qu’il aime mieux son aïeule ; il retend néanmoins son assiette vers le plat du grand-père.

De peur qu’il n’ait une indigestion d’amour filial, la prévoyante mère fait enlever la crème.