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quelques fragments l’avaient pourtant subjugué par leurs exaltations passionnées et leurs bondissantes fougues, et il savait pertinemment aussi qu’il n’était pas une scène, pas même une phrase d’un opéra du prodigieux Wagner qui pût être impunément détachée de son ensemble.

Les morceaux, découpés et servis sur le plat d’un concert, perdaient toute signification, demeuraient privés de sens, attendu que, semblables à des chapitres qui se complètent les uns les autres et concourent tous à la même conclusion, au même but, ses mélodies lui servaient à dessiner le caractère de ses personnages, à incarner leurs pensées, à exprimer leurs mobiles, visibles ou secrets, et que leurs ingénieux et persistants retours n’étaient compréhensibles que pour les auditeurs qui suivaient le sujet depuis son exposition et voyaient peu à peu les personnages se préciser et grandir dans un milieu d’où l’on ne pouvait les enlever sans les voir dépérir, tels que des rameaux séparés d’un arbre.

Aussi des Esseintes pensait-il que, parmi cette tourbe de mélomanes qui s’extasiait, le dimanche, sur les banquettes, vingt à peine connaissaient la partition qu’on massacrait, quand les ouvreuses consentaient à se taire pour permettre d’écouter l’orchestre.

Étant donné également que l’intelligent patriotisme empêchait un théâtre français de représenter un opéra de Wagner, il n’y avait pour les curieux qui ignorent