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Cette anthologie comprenait un selectæ du Gaspard de la Nuit de ce fantasque Aloysius Bertrand qui a transféré les procédés du Léonard dans la prose et peint, avec ses oxydes métalliques, de petits tableaux dont les vives couleurs chatoient, ainsi que celles des émaux lucides. Des Esseintes y avait joint le Vox populi, de Villiers, une pièce superbement frappée dans un style d’or, à l’effigie de Leconte de Lisle et de Flaubert, et quelques extraits de ce délicat Livre de Jade dont l’exotique parfum de ginseng et de thé se mêle à l’odorante fraîcheur de l’eau qui babille sous un clair de lune, tout le long du livre.

Mais, dans ce recueil, avaient été colligés certains poèmes sauvés de revues mortes : le Démon de l’analogie, la Pipe, le Pauvre enfant pâle, le Spectacle interrompu, le Phénomène futur, et surtout Plaintes d’automne et Frisson d’hiver, qui étaient les chefs-d’œuvre de Mallarmé et comptaient également parmi les chefs-d’œuvre du poème en prose, car ils unissaient une langue si magnifiquement ordonnée qu’elle berçait, par elle-même, ainsi qu’une mélancolique incantation, qu’une enivrante mélodie, à des pensées d’une suggestion irrésistible, à des pulsations d’âme de sensitif dont les nerfs en émoi vibrent avec une acuité qui vous pénètre jusqu’au ravissement, jusqu’à la douleur.

De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui,