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chacun va de préférence aux œuvres qui correspondent le plus intimement à son propre tempérament et finit par reléguer en arrière toutes les autres.

Ce travail de sélection s’était lentement opéré en lui ; il avait naguère adoré le grand Balzac, mais en même temps que son organisme s’était déséquilibré, que ses nerfs avaient pris le dessus, ses inclinations s’étaient modifiées et ses admirations avaient changé.

Bientôt même, et quoiqu’il se rendît compte de son injustice envers le prodigieux auteur de la Comédie humaine, il en était venu à ne plus ouvrir ses livres dont l’art valide le froissait ; d’autres aspirations l’agitaient maintenant, qui devenaient, en quelque sorte, indéfinissables.

En se sondant bien, néanmoins, il comprenait d’abord que, pour l’attirer, une œuvre devait revêtir ce caractère d’étrangeté que réclamait Edgar Poë, mais il s’aventurait volontiers plus loin, sur cette route et appelait des flores byzantines de cervelle et des déliquescences compliquées de langue ; il souhaitait une indécision troublante sur laquelle il pût rêver, jusqu’à ce qu’il la fît, à sa volonté, plus vague ou plus ferme selon l’état momentané de son âme. Il voulait, en somme, une œuvre d’art et pour ce qu’elle était par elle-même et pour ce qu’elle pouvait permettre de lui prêter ; il voulait aller avec elle, grâce à elle, comme soutenu par un adjuvant, comme porté par un véhicule, dans une sphère où les sensations sublimées