Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.

reconnaissait un indicible charme à cet écrivain qui, dans un temps où le vers ne servait plus qu’à peindre l’aspect extérieur des êtres et des choses, était parvenu à exprimer l’inexprimable, grâce à une langue musculeuse et charnue, qui, plus que toute autre, possédait cette merveilleuse puissance de fixer avec une étrange santé d’expressions, les états morbides les plus fuyants, les plus tremblés, des esprits épuisés et des âmes tristes.

Après Baudelaire le nombre était assez restreint, des livres français rangés sur ses rayons. Il était assurément insensible aux œuvres sur lesquelles il est d’un goût adroit de se pâmer. « Le grand rire de Rabelais » et « le solide comique de Molière » ne réussissaient pas à le dérider, et son antipathie envers ces farces allait même assez loin pour qu’il ne craignît pas de les assimiler, au point de vue de l’art, à ces parades des bobèches qui aident à la joie des foires.

En fait de poésies anciennes, il ne lisait guère que Villon, dont les mélancoliques ballades le touchaient et, çà et là, quelques morceaux de d’Aubigné qui lui fouettaient le sang avec les incroyables virulences de leurs apostrophes et de leurs anathèmes.

En prose, il se souciait fort peu de Voltaire et de Rousseau, voire même de Diderot, dont les « Salons » tant vantés lui paraissaient singulièrement remplis de fadaises morales et d’aspirations jobardes ; en haine de tous ces fatras, il se confinait presque exclusivement