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abordé, près des Invalides, par un tout jeune homme qui le pria de lui indiquer la voie la plus courte pour se rendre à la rue de Babylone. Des Esseintes lui désigna son chemin et, comme il traversait aussi l’esplanade, ils firent route ensemble.

La voix du jeune homme insistant, d’une façon inopinée, afin d’être plus amplement renseigné, disant : — Alors vous croyez qu’en prenant à gauche, ce serait plus long ; l’on m’avait pourtant affirmé qu’en obliquant par l’avenue, j’arriverais plus tôt, — était, tout à la fois, suppliante et timide, très basse et douce.

Des Esseintes le regarda. Il paraissait échappé du collège, était pauvrement vêtu d’un petit veston de cheviote lui étreignant les hanches, dépassant à peine la chute des reins, d’une culotte noire, collante, d’un col rabattu, échancré sur une cravate bouffante bleu foncé, à vermicelles blancs, forme La Vallière. Il tenait à la main un livre de classe cartonné, et il était coiffé d’un melon brun, à bords plats.

La figure était troublante ; pâle et tirée, assez régulière sous les longs cheveux noirs, elle était éclairée par de grands yeux humides, aux paupières cernées de bleu, rapprochés du nez que pointillaient d’or quelques rousseurs et sous lequel s’ouvrait une bouche petite, mais bordée de grosses lèvres, coupées, au milieu, d’une raie ainsi qu’une cerise.

Ils se dévisagèrent, pendant un instant, en face, puis le jeune homme baissa les yeux et se rapprocha ; son