Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.

caine. Cette brunette suintait des parfums préparés, malsains et capiteux et elle brûlait comme un cratère ; en dépit de tous ses subterfuges, des Esseintes s’épuisa en quelques heures ; il n’en persista pas moins à se laisser complaisamment gruger par elle, car plus que la maîtresse, le phénomène l’attirait.

D’ailleurs les plans qu’il s’était proposés, avaient mûri. Il se résolut à accomplir des projets jusqu’alors irréalisables.

Il fit apporter, un soir, un petit sphinx, en marbre noir, couché dans la pose classique, les pattes allongées, la tête rigide et droite et une chimère, en terre polychrome, brandissant une crinière hérissée, dardant des yeux féroces, éventant avec les sillons de sa queue ses flancs gonflés ainsi que des soufflets de forge. Il plaça chacune de ces bêtes à un bout de la chambre, éteignit les lampes, laissant les braises rougeoyer dans l’âtre et éclairer vaguement la pièce en agrandissant les objets presque noyés dans l’ombre.

Puis, il s’étendit sur un canapé, près de la femme dont l’immobile figure était atteinte par la lueur d’un tison, et il attendit.

Avec des intonations étranges qu’il lui avait fait longuement et patiemment répéter à l’avance, elle anima, sans même remuer les lèvres, sans même les regarder, les deux monstres.

Et dans le silence de la nuit, l’admirable dialogue de la Chimère et du Sphinx commença, récité par des