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Il pensa qu’il ferait bien de se défier d’elle, regretta presque d’avoir admis parmi les plantes inodores qu’il possédait, cette orchidée qui fleurait les plus désagréables des souvenirs.

Une fois seul, il regarda cette marée de végétaux qui déferlait dans son vestibule ; ils se mêlaient, les uns aux autres, croisaient leurs épées, leurs kriss, leurs fers de lances, dessinaient un faisceau d’armes vertes, au-dessus duquel flottaient, ainsi que des fanions barbares, des fleurs aux tons aveuglants et durs.

L’air de la pièce se raréfiait ; bientôt, dans l’obscurité d’une encoignure, près du parquet, une lumière rampa, blanche et douce.

Il l’atteignit et s’aperçut que c’étaient des Rhizomorphes qui jetaient en respirant ces lueurs de veilleuses.

Ces plantes sont tout de même stupéfiantes, se dit-il ; puis il se recula et en couvrit d’un coup d’œil l’amas : son but était atteint ; aucune ne semblait réelle ; l’étoffe, le papier, la porcelaine, le métal, paraissaient avoir été prêtés par l’homme à la nature pour lui permettre de créer ses monstres. Quand elle n’avait pu imiter l’œuvre humaine, elle avait été réduite à recopier les membranes intérieures des animaux, à emprunter les vivaces teintes de leurs chairs en pourriture, les magnifiques hideurs de leurs gangrènes.

Tout n’est que syphilis, songea des Esseintes, l’œil attiré, rivé sur les horribles tigrures des Caladium que caressait un rayon de jour. Et il eut la brusque vision