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n’osant plus acheter de domaines au Maréchal, de peur de s’attirer la haine du Duc et d’encourir la colère du Roi, Jean V demeura seul acquéreur, et dès lors, il fixa les prix. On peut penser si les biens de Gilles de Rais furent possédés à bon compte !

Réduit aux abois, Gilles se laissa entièrement dominer par la passion de l’alchimie et abandonna tout pour elle. Mais il est bon de remarquer que cette science, qui le jeta dans la démonomanie, alors qu’il espéra créer de l’or et se sauver ainsi d’une misère imminente, il l’aima pour elle-même, dans un temps où il était riche. Ce fut en effet vers l’année 1426, au moment où l’argent déferlait dans ses coffres, qu’il tenta, pour la première fois, la réussite du grand œuvre.

Nous le retrouvons donc penché sur des cornues, dans le château de Tiffauges, et c’est maintenant qu’il va commencer la série des crimes de magie.

En se reportant à son temps, il est facile de se figurer les connaissances qu’il possède sur la manière de transmuer les métaux.

L’alchimie était déjà très développée un siècle avant qu’il naquît. Les écrits d’Albert le Grand, d’Armand de Villeneuve, de Raymond Lulle, étaient entre les mains des hermétistes. Les manuscrits de Nicolas Flamel circulaient ; nul doute que Gilles, qui raffolait des volumes étranges, des pièces rares, ne les ait acquis ; ajoutons qu’à cette époque, l’édit de Charles V, interdisant, sous peine de la prison et de la mort les travaux spagiriques, et que la bulle Spondent pariter quas non exhibent, que le pape Jean XXII fulmina contre les alchimistes, étaient encore en vigueur. Ces œuvres étaient donc défendues, et par conséquent enviables ; il est certain que Gilles les a longuement étudiées, mais de là à les comprendre il y a loin !

Ces livres constituaient, en effet, le plus incroyable des galimatias, le plus inintelligible des grimoires. Tout était en allégories, en métaphores cocasses et obscures, en emblèmes incohérents, en paraboles embrouillées, en énigmes bourrées de chiffres.

Il est bien évident qu’à Tiffauges, seul, sans l’aide d’initiés, Gilles était incapable de tenter utilement des fouilles. À cette époque, le centre hermétiste était, en France, à Paris, où les alchimistes se réunissaient sous les voûtes de Notre-Dame et étudiaient, les hiéroglyphes du charnier des Innocents et le portail de Saint-Jacques de la Boucherie, sur lequel Nicolas Flamel avait écrit, en de kabbalistiques emblèmes, la préparation de la fameuse pierre.

Le Maréchal ne pouvait se rendre à Paris sans tomber dans les troupes anglaises qui barraient les routes ; il choisit le moyen le plus