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À sa vue, Gilles fondit en larmes, et alors qu’après l’interrogatoire, on s’apprêtait à reconduire l’Italien dans sa geôle, il l’embrassa, disant : « Adieu. François, mon ami, jamais plus nous ne nous entreverrons en ce monde. Je prie Dieu qu’il vous donne bonne patience et connaissance, et soyez certain, si vous avez bonne patience et espérance en Dieu, que nous nous entreverrons en grande joie de Paradis. Priez Dieu pour moi, et je prierai pour vous. »

Et il fut laissé seul pour méditer sur ses forfaits, qu’il devait avouer publiquement, à l’audience du lendemain.

Ce fut, ce jour-là le jour solennel du procès. La salle où siégeait le Tribunal était comble, et la multitude, refoulée dans les escaliers, serpentait jusque dans les cours, emplissant les venelles avoisinantes, barrait les rues. De vingt lieues à la ronde, les paysans étaient venus pour voir le mémorable fauve dont le nom seul faisait, avant sa capture, clore les portes dans les tremblantes veillées où pleuraient tout bas les femmes.

Le Tribunal allait se réunir au grand complet. Tous les assesseurs, qui, d’habitude, se suppléaient pendant les longues audiences étaient présents.

La salle, massive, obscure, soutenue par de lourds piliers romans, se rajeunissait à mi-corps, s’effilait en ogive, élançait à des hauteurs de cathédrale les arceaux de sa voûte qui se rejoignaient, ainsi que les côtes des mitres abbatiales, en une pointe. Elle était éclairée par un jour déteint que filtrait, au travers de leurs résilles de plomb, d’étroits carreaux. L’azur du plafond se fonçait et ses étoiles ne scintillaient plus, à cette hauteur, que comme des têtes, en acier, d’épingles ; dans les ténèbres des voûtes, l’hermine des armes discales apparaissait, confuse, dans des écussons qui ressemblaient à de grands dés blancs, mouchetés de points noirs.

Et soudain les trompettes hennirent, la salle devint claire, les Évêques entraient. Ils fulguraient sous leurs mitres en drap d’or, étaient cravatés d’un collier de flammes par le collet orfrasé, pavé d’escarboucles, de leurs robes. En une silencieuse procession, ils s’avançaient, alourdis par leurs rigides chapes qui tombaient, en s’évasant, de leurs épaules, pareilles à des cloches d’or fendues sur le devant, et ils tenaient la crosse à laquelle pendait le manipule, une sorte de voile vert.

Ils flambaient, à chaque pas, ainsi que des brasiers sur lesquels on souffle, éclairaient eux-mêmes la salle, en reflétant le pâle soleil d’un pluvieux octobre qui se ranimait dans leurs joyaux et y puisait