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LE TRÉSOR DE BIGOT

Jules Laroche posa rudement la main à l’épaule du vieux vagabond :

— Ne vous avais-je pas défendu, père Lacerte, de parler à votre fils ! déclara le détective. Je ne veux point que vous le contaminiez. Champlain est un brave jeune homme honnête et bien casé maintenant. Allez vous régénérer. Menez une vie de bon citoyen pendant quelques années. Rachetez vos fautes et je vous remettrai votre enfant entre les mains. D’ici là, je ne veux pas vous voir le bout du nez à cent pieds du sien. Entendez-vous !… Si vous ne m’obéissez pas, je vous ferai arrêter, et cette fois, le juge saura bien compter plus loin que deux ans de pénitencier.

Le vagabond, de menaçant, qu’il était avant l’arrivée de Jules, s’était fait suppliant.

— Mais, pleura-t-il, je veux ravoir mon enfant, monsieur Laroche. J’ai ouvert une petite taverne à la basse-ville et j’ai besoin de lui pour servir la bière aux clients.

— Vous osez me demander votre fils pour en faire un commis de bar, tonna le détective. Non, père Lacerte, éloignez-vous et n’essayez plus de parler à Champlain-Tricentenaire, car il pourrait vous en cuire !

Les autos débarquaient du bateau. Celle de Jules Laroche bloquait le passage aux autres. Les sirènes criaient sous les doigts impatients de ceux que la conversation du détective retardait.

Champlain Tricentenaire, en deux bonds, fut dans l’auto de son maître, au volant. Le vieux vagabond suivit de loin. Comme le détective montait dans la voiture, il cria à son fils : « Tricentenaire, si tu ne fais pas comme je t’ai dit, tu sais ce qui va t’arriver ! »

Le secrétaire pâlit affreusement. Le détective lui demanda :

— Qu’est-ce que le vieux signifie par ces menaces à ton adresse ?

Mais, à ce moment, un matelot criait rudement à Tricentenaire d’avancer. Celui-ci obéit à l’ordre.

Quand ils se trouvèrent sur l’avenue Laurier, à Lévis, Jules Laroche répéta sa question.

— Ah ! je ne sais pas ce que mon père a voulu dire, répondit Champlain. C’est sans doute une vaine menace.

— Tricentenaire, je crois que tu me caches quelque chose.

— Oh ! Comment pourrais-je, monsieur Laroche !

— Très bien, nous verrons.

L’automobile laissait l’avenue Laurier pour prendre la rue Commerciale.

Champlain pesa nerveusement sur l’accélérateur. La machine fit un bond et s’engagea à toute vitesse dans la côte Davidson, tourna à la rue St-Louis et à la rue St-Antoine, puis, après un nouveau détour sur la rue St-Georges, s’engagea, ronflant avec fracas, sur la route Lévis-Jackman, lisse comme un marbre.

Tricentenaire pesa encore davantage sur l’accélérateur. Jules Laroche le regardait, soucieux. D’habitude, son secrétaire se montrait plus prudent. Qu’avait-il ?

L’indicateur de vitesse marqua 40-50-55-58 milles à l’heure.

À la bourgade de Sorosto, une mère lança un cri déchirant à son enfant qui eut tout juste le temps de traverser la route avant que l’auto s’engouffrât à une vitesse folle dans la petite côte qui apparaît au touriste dès qu’il dépasse cette bourgade.

Jules Laroche n’eut que le temps de voir l’église de Pintendre. Elle était déjà loin. Le détective commençait à être lui-même enivré de vitesse.

Champlain demeura silencieux jusqu’à St-Henri.

— Toi, pensait le détective en le regardant du coin de l’œil, tu as certainement quelque chose. Pourquoi veux-tu me cacher ce secret ? Mystère !

L’automobile s’arrêtait en face du presbytère de St-Henri.

— Ai-je conduit à une trop grande vitesse ? questionna Champlain en sautant à terre.

Le détective lui répondit :

— Tu n’as pas conduit trop vite pour moi, mais peut-être un peu trop pour les agents en motocyclettes qui patrouillaient la route Lévis-Jackman.


II

L’ATTENTAT SACRILÈGE


Le presbytère de St-Henri était une vieille maison enfoncée dans ses solives, au style frustre des siècles passés. En face, on pouvait voir un parterre aux plates-bandes soigneusement entretenues, dont le gazon d’un vert riche avait été fraîchement coupé.

La route Lévis-Jackman passait tout près. On entendait continuellement des sons de trompes d’automobiles. La route était fort fréquentée à cette saison de l’année. Pendant juin, juillet, août et septembre, les