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LE TRÉSOR DE BIGOT

L’automobile qui avait amené le père Lacerte et l’inconnu était resté sur le bord de la route, près du « Racer » de Jules Laroche. Celui-ci la regarda longuement. Sa plaque portait le numéro et l’inscription suivante : « 20101, Québec, 25 ».

Le détective prit son crayon et son calepin et nota l’inscription.

La machine était de marque « Hudson » et paraissait presque neuve. C’était un char ouvert d’un modèle récent. Jules souleva la couverture du moteur dont il prit soigneusement le numéro en note.

Madeleine errait aux alentours, sur le bord de la route, cueillant un bouquet de fleurs sauvages. Sa physionomie était soucieuse. Elle pensait à Jean Labranche dont les visites chez elle ressemblaient beaucoup à de la fréquentation amoureuse. Mais, si elle l’avait toujours accueilli avec une aimable camaraderie, elle avait aussi repoussé gentiment et toujours résolument ses avances passées. Elle se félicita de sa conduite, heureuse de ses refus réitérés. Quelle douleur n’éprouverait-elle pas aujourd’hui si la cour de Jean avait réussi à lui donner de l’amour pour lui ! « Dieu et mon aïeul m’ont protégé », pensa-t-elle.

Puis la jeune fille se rappela son enfance joyeuse dans laquelle le jeune chef des bandits avait joué un grand rôle. Dans le temps, le docteur Labranche avait sa demeure tout près de celle du notaire. Le petit garçon et la petite fille partaient pour l’école en se tenant par la main. À la sortie ils s’attendaient toujours pour revenir ensemble à la maison paternelle. Quelles bonnes parties de raquettes ensemble ! Et les descentes en traînes sauvages sur la butte Emond, située à l’entrée du village ; et les amusants patinages sur l’Etchemin gelé !

La jeune fille cueillait des fleurs sauvages et pensait toujours…

Un jour, Jean et elle revenaient de chez le curé. Ils rencontrèrent un méchant cultivateur ivre qui battait son cheval cruellement. Jean dit à l’homme de cesser de rouer sa bête de coups. L’homme ricana. Jean prit alors un glaçon sur la route et le lui lança. Le cultivateur, fâché, courut pour l’attraper et sans doute lui administrer une bonne raclée. Jean se sauva. Mais soudain l’enfant se baissa. L’homme qui le suivait de près culbuta par-dessus lui et s’assomma en tombant sur la route glacée. Jean se dirigea vers la bête qu’il caressa doucement. Puis il alla en courant chez le curé à qui il raconta l’histoire. Le bon prêtre vint relever le cultivateur ivre et lui prodigua les soins que requérait son état. Madeleine avait dans le temps trouvé Jean à la fois crâne et bon.

Est-ce que cet enfant devenu jeune homme pouvait être le chef de cette bande criminelle ? Elle se refusait à le croire. Et cependant, monsieur Laroche n’avait-il pas des preuves décisives contre lui !

— Pauvre docteur, dit-elle tout bas, quelle peine terrible pour lui quand il apprendra que son fils est un voleur, un brigand ! Lui qui l’aime tant, qui a fait tant de sacrifices pour le faire instruire !

La jeune fille revint à Jules Laroche qui avait fini son examen minutieux de l’auto. Gentiment, elle mit une fleur sauvage à sa boutonnière. Le détective sourit et regarda longuement Madeleine.

Car sa pensée l’appelait maintenant Madeleine tout court.

Décidément, cette belle jeune fille franche et brave, mais sans manières masculines, lui plaisait de plus en plus.

Madeleine fit part à son compagnon de ses dernières pensées.

Jules lui dit alors de façon étrange :

— Oh ! je crois pouvoir vous promettre, mademoiselle Madeleine, que le pauvre vieux docteur ne saura jamais rien de toute cette affreuse histoire. Je vais tâcher de lui épargner ce chagrin terrible, sur ses vieux jours. D’ailleurs, Jean Labranche n’est pas un bandit répugnant. Certains côtés de sa nature sont admirables. En effet, n’a-t-il pas donné $600 à son père !

— Comment allez-vous vous y prendre pour lui éviter le bagne ?

— Oh ! je n’en sais rien encore. Et puis, il ira peut-être sans doute en prison. Justice doit être faite. Si j’admire certains côtés de sa nature, j’en déteste diablement d’autres, par exemple celui qui le pousse à me faire tirer une balle au cœur ou dans la tête.

Les jeunes gens s’en venaient maintenant sur la même route que deux heures auparavant ils avaient parcouru en sens contraire.

L’atmosphère de gêne, de timidité, s’était dissipée.

Ils venaient de vivre ensemble des minutes haletantes. Le danger les avait frôlés quand le père Lacerte et son compagnon les avaient dérangés. Leurs âmes s’étaient touchées et comprises dans cette intimité muette du danger et elles s’étaient faites inconsciemment un pacte silencieux.

La voiture du détective passait devant la demeure du docteur.

Voyant que le vieux médecin était à bêcher dans son jardin, Jules Laroche arrêta encore