Page:Huot - Le trésor de Bigot, 1926.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LE TRÉSOR DE BIGOT

le était, elle aussi, à la recherche du trésor, il en avait été estomaqué.

Le vieux notaire chérissait en Madeleine, sa femme disparue. Elle était une vivante image de la morte qu’il avait tant aimée.

« Oh ! oui, pensait-il, nous faisions un bon ménage. Le curé nous citait toujours en exemple à l’époux qui allait se plaindre des négligences de sa femme, à l’épouse qui pleurait sur la brutalité et l’inconduite de son mari. »

Le vieux notaire adorait Madeleine. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. À quels effroyables dangers ne s’exposerait-elle pas dans cette affaire !

Il lui avait parlé ce soir, il lui avait demandé de renoncer à son projet d’accompagner le détective dans ses recherches. Mais elle s’était refusée à lui obéir. Elle l’avait caressé, câliné, et avait fini par obtenir son consentement.

Quels malheurs terribles allaient fondre sur eux !

Le vieillard frémit sous les couvertures de son lit.

Puis il se leva, ouvrit un tiroir et en sortit un portrait, celui de sa femme à 20 ans :

« Ô Madeleine, ma femme, pria-t-il, embrassant le portrait, tu es au ciel. Dis-moi ce qu’il faut faire pour sauver notre fille. Si je la perds, je serai seul au monde. Et je suis trop vieux, trop vieux pour supporter la froideur de la solitude. Éclaire-moi, ô mon épouse bien-aimée, montre-moi la voie… »

Le vieillard était très pieux, très attaché à la foi de ses ancêtres. Il fit une prière ardente à la Vierge. Quand il se releva sa figure était comme illuminée : « Qui m’a inspiré cette pensée, cette pensée merveilleuse, cette pensée sublime ? Est-ce toi, ô Vierge Marie, est-ce vous ô St-Joseph, patron du Canada Français ? Oui, Madeleine, je te laisserai poursuivre tes recherches avec le détective. C’est peut-être l’âme de mon grand aïeul, le garde du Château St-Louis, qui me souffle ce soir la direction à prendre. Nous retrouverons le trésor. Madeleine en disposera à son gré, et je sais que son gré sera le mien. Depuis trop longtemps, le malheur pèse sur notre famille. C’est cet argent maudit qui a causé toutes ces infortunes ; c’est lui qui me tient éveillé dans la solitude de la nuit. Nous retrouverons le trésor !

Le bruit que fit le vieillard en se remettant au lit éveilla Madeleine.

— Papa, tu ne dors donc pas ? demanda-t-elle.

Le notaire se garda de souffler mot, désirant faire croire à sa fille qu’il sommeillait profondément.

Madeleine, inquiète du bruit qu’elle avait entendu, se leva à son tour et entrebâilla la porte de la chambre de son père. Celui-ci paraissait dormir.

— Tiens, papa a oublié d’éteindre sa lampe. Elle s’avança sur la pointe des pieds vers le guéridon et souffla la lampe sans faire le moindre bruit. Elle reprit ensuite le chemin de sa chambre.

Après s’être tournée et retournée dans son lit, elle s’aperçut qu’elle aurait de la difficulté à se rendormir. Alors elle se croisa les mains sur ses deux genoux relevés et se prit à songer : Son ami Jean était venu ce soir. Il paraissait soucieux. À une question d’elle, il avait répondu que les affaires allaient mal en Bourse. Pauvre lui ! Elle lui avait raconté que le père Latulippe connaissait le secret de la fosse du noyé. Cela avait paru l’intéresser. Il avait demandé à voir les deux bouts de parchemin. Mais le vieux notaire avait refusé de les lui montrer, sous prétexte qu’il y avait déjà assez de personnes qui connaissaient l’histoire. « Ils sont dans le coffre-fort, dit le père, et ils y resteront jusqu’à ce que monsieur Laroche les demande. »

Au départ, vers dix heures, Jean lui demanda de l’embrasser. Mais elle refusa carrément. Elle n’était pas en amour avec lui et elle n’embrasserait que, que… que… qui ?

Monsieur Laroche lui semblait un jeune homme bien gentil. En une heure il avait débrouillé une bonne partie du mystère. Elle avait bien hâte au matin pour le revoir. Ils allaient faire de la bonne, de la splendide besogne ensemble ! La moustache de monsieur Laroche était adorable, ses yeux, fascinateurs. Madeleine s’assoupit. Tout à coup, elle s’éveilla en sursaut et s’assit dans son lit :

— Qu’est-ce qui m’a éveillée ? se demanda-t-elle.

On entendait un bruit qui était sur le point de s’évanouir dans le lointain.

« Ah ! pensa-t-elle, ce ne sont que des gens ivres qui s’en vont à Québec en auto. »

Mais au même instant, elle entendit les freins d’une auto crisser en face de la maison.

En deux bonds, elle fut à la fenêtre. Deux hommes venaient de descendre de l’automobile et se dirigeaient vers la demeure du notaire.

Vite, la jeune fille courut à la chambre de son père et le secoua :