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ALEXANDRE HUOT


La Pipe de Plâtre
Comédie en un acte

Représentée pour la première fois au Théâtre Parisien, à Montréal, le 27 janvier 1923, sous les auspices de l’Association des Auteurs Canadiens

PERSONNAGES
Dr albert dionne, médecin 
M. Paul Coutlée
pauline, sa femme 
Mlle Juliette Béliveau
wellie rousseau, son beau-père 
M. C.-A. Vallerand
madame rousseau, sa belle-mère 
Mlle Blanche Beaumont
Le chef de police de Lévis 
M. L.-O. Bariteau
Deux hommes de police 
MM. X et Z
Un menuisier 
M. Albert Savard
Une cliente du médecin 
Mlle Jeanne Deslauriers


Le cabinet de travail du docteur Dionne. Appareil téléphonique sur le bureau.
La scène se passe à Lévis de nos jours.



Scène I

(Le Docteur Dionne est assis. Il fume dans une bonne pipe de plâtre bien cernée. Il laisse le journal et regarde sa pipe longuement. Le téléphone sonne.)


LE DOCTEUR. — Allo… Il n’y a qu’à lui faire observer la diète la plus absolue. (Il laisse le téléphone, regarde sa pipe et sourit.) Je vais gagner la gageure, c’est certain. (Le téléphone sonne.) Allo… Tiens, Jean-Marie, comment ça va ?… Ah, tu as entendu parler de ma gageure… Quoi ?… Tu veux que je te raconte… J’ai gagé $300 avec Antonio que dans cinq jours je pouvais cerner une pipe de plâtre mieux que lui. C’est la cinquième journée aujourd’hui… Ah, si tu la voyais… (Il regarde sa pipe) C’est une merveille. Ce qu’il a fallu me brûler la langue pour arriver à ça… Bonjour.


Scène II

Le docteur Dionne, Pauline

LE DOCTEUR. — Veux-tu me dire pourquoi tu as encore dérangé mes papiers sur le pupitre. Je ne retrouve rien. C’est insupportable.

PAULINE. — Voyez-vous ça ! Il n’y aura pas moyen de faire le ménage à présent à cause de ce monsieur.

LE DOCTEUR. — Tu peux faire le ménage sans tout mettre à l’envers.

PAULINE. — Oui, il faudrait que je laisse un doigt de poussière sur tous les meubles à l’année.

LE DOCTEUR. — Pauline, tu exagères, tu exagères tout le temps. L’autre jour, pour te faire plaisir, il aurait fallu que j’achète un immense piano à queue qui n’aurait jamais pu entrer dans le salon.

PAULINE. — Il me le faut, ce piano-là. Et puis, je fais changer les séparations en haut. Il y aura quatre chambres au lieu de trois. Le menuisier doit venir aujourd’hui à ce sujet.

LE DOCTEUR. — Encore du changement. Chaque fois que tu fais le ménage, il faut que tu changes quelques meubles de place. Ainsi ce matin quand je suis entré, j’ai pensé que je m’étais trompé et que j’étais rendu chez le voisin.

PAULINE. — Et il dit qu’il n’y a que les femmes qui exagèrent !… Dieu, que de fumée !… Tu vas me rendre malade. Tu n’arrêtes pas. Tu fumes tout le temps, et dans cette espèce de pipe de plâtre.

LE DOCTEUR (en air). — Ma chère, il n’y a rien de bon pour les poumons comme la fumée de tabac canadien. (il lui en envoie une bouffée en pleine figure. Elle se sauve, il court après.) Tiens, prends ça.

PAULINE. — Laisse-moi !

LE DOCTEUR. — Ça, c’est pour le poumon droit.

PAULINE. — Je ne t’aurais jamais cru si bête…

LE DOCTEUR. — Ça, c’est pour le poumon gauche. (Il frappe un vase de son coude et le casse).

PAULINE. — Tu peux le dire : « gauche ».

LE DOCTEUR. — Ce vase-là du moins ne changera plus de place.

PAULINE (sur le bord des larmes). — Et tu ris, grand niais. Le vase que ma meilleure amie m’a donné en cadeau de noces. Un vase en verre taillé. Un souvenir de ma jeunesse. Mon… mon… meilleur…

LE DOCTEUR. — Tu parles d’un souvenir… de son meilleur… (Lyrique) Le vase se casse, le souvenir s’éteint ; le cœur de ma femme se casse, (regardant dans le miroir sa chevelure qui commence à s’argenter) et moi bientôt, je me teins.

PAULINE. — Sans-cœur qui ris de la douleur de sa femme…

LE DOCTEUR. — …qui pleure pour un vase, ne pouvant plus pleurer dedans.

PAULINE. — Tiens, je ne sais pas ce que je vais te faire.

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