Page:Huot - Le massacre de Lachine, 1923.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
LE MASSACRE DE LACHINE

Belmont entra. Elle le reçut froidement et lui demanda d’un ton moitié mécontent :

« À quoi dois-je l’honneur de cette visite matinale, M. de Belmont ? »

Le jeune homme, surpris, lui répondit :

— N’avez-vous pas entendu du bruit dans le camp des Abénaquis, ce matin ?

— L’affaire est déjà vieille, répondit-elle, et l’on m’a tout dit. Je remercie néanmoins le Lt. de Belmont de ce qu’il a bien voulu quitter son poste pour venir m’apprendre que le frère de ma meilleure amie a dû, ce matin, subir l’épreuve de la course terrible chez les Abénaquis. »

Le jeune homme comprit la raillerie, mais répondit d’un ton conciliant :

« Je puis affirmer qu’il y a à peine une demi-heure que j’ai su que le prisonnier est le frère d’Isanta.

— Lorsque le Lt. de Belmont fera sa première campagne, j’espère que, dans son intérêt, s’il fait des prisonniers, il saura distinguer entre un chef sauvage et un guerrier ordinaire.

— Je remercie Mlle  du Châtelet de ses bons souhaits, répondit de Belmont un peu piqué. Je lui dirai néanmoins que, sans moi, le chef huron ne serait pas vivant aujourd’hui. En outre, si cet homme est prisonnier, il le doit à son obstination, car le jour où il a été pris, M.  le marquis de Denonville lui a offert la liberté s’il voulait avouer pourquoi il rôdait autour du Fort et à quelle nation il appartenait : or, s’il a refusé de répondre au gouverneur, à plus forte raison me recevrait-il avec le même refus.

— Le Lt. de Belmont aurait fait un excellent avocat, observa Julie ; il possède à un haut degré la faculté de donner aux choses l’aspect qui lui est le plus favorable.

— Je ne vois pas, répondit le jeune homme avec chaleur, ce qu’il y a de défavorable pour moi dans cette affaire. Mlle  du Châtelet me semble un peu prompte à se former une opinion sur des choses au sujet desquelles elle me parait n’avoir que des renseignements imparfaits. Tout ce que je puis ajouter, c’est que je suis désolé pour le prisonnier ; c’est un brave, et si son sort était en mon pouvoir, il serait immédiatement libéré.

— Seulement pour sa bravoure ? répliqua Julie qui semblait décidée à taquiner son amant.

— Je ne puis comprendre vos questions, Mlle  du Châtelet, reprit le lieutenant à la fois vexé et intrigué.

— Les préoccupations de la prochaine campagne ont enlevé à M. de Belmont sa perspicacité ordinaire, reprit Julie, car je ne lui fais que des questions auxquelles un homme infiniment moins intelligent que M. de Belmont répondrait sans la moindre hésitation. »

— Franchement, si Mlle  du Châtelet veut parler en charades, je ne suis pas forcé de la comprendre, reprit de Belmont en cherchant à contenir l’irritation que lui causaient les paroles et le ton provocant de Julie.

— Eh bien ! M. de Belmont, puisque votre intelligence semble comme endormie, reprit la jeune fille en jetant un regard inquisiteur sur de Belmont, je vais vous répéter ma question plus en détail. Vous m’avez dit que, si la chose était en votre pouvoir, vous libéreriez le Huron immédiatement. Je vous demande si vous feriez cela seulement pour ses mérites comme brave ou à cause de sa sœur Isanta ? Cette fois, M. de Belmont, me comprenez-vous ?

— Oh ! parfaitement, reprit de Belmont riant de tout son cœur ; Mlle  du Châtelet souffre du mal de jalousie.

— Prenez garde, monsieur, ne vous moquez pas de moi, reprit Julie indignée. Rappelez-vous que je ne suis pas de ces personnes qui supportent les plaisanteries de caserne !

Mlle  Julie du Châtelet, répliqua de Belmont, les mots « plaisanteries de casernes » ne sauraient s’appliquer à ce que je viens de vous dire, et j’ai même la conscience de n’avoir jamais employé pareil langage devant vous. Je me suis permis de rire de ce qui me semblait une idée folle que vous ne sauriez avoir sérieusement formulée.

— Peu importe ce que le Lt. de Belmont pense de cette question. J’ai des raisons qu’il ne connaît pas pour la croire sérieuse. Il peut ne pas répondre s’il le veut, mais je saurai alors quelles conclusions tirer de son silence, et n’agirai d’après ces conclusions.

Mlle  du Châtelet aurait-elle, dernièrement, prêté l’oreille à quelques calomnies débitées contre moi ? Car c’est la seule supposition qui puisse m’expliquer le ton qu’elle prend aujourd’hui.

— Je n’ai jamais prêté l’oreille à des calomnies débitées contre le lieut. de Belmont. Sa conduite est son affaire personnelle.