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de Morale.

Le desir de la réputation, loin de mériter du blâme, paroît inséparable de la vertu, du génie, des talens, & d’un caractere gé-

    que, dans les pays où tous les hommes sont sujets à devenir d’une grosseur excessive, on fait confiner la beauté dans une taille fine, beaucoup plus que dans les pays où ce défaut n’est pas commun. Les hommes étant frappés par de fréquent exemples d’un genre de difformité, ne croient plus s’en pouvoir éloigner assez, & cherchent alors à se jeter dans l’extrémité opposée : de même s’il étoit permis de se louer soi-même, & si, suivant la maxime de Montagne, un homme pouvoit dire naïvement, je suis sensé, je suis savant, j’ai du courage, de la beauté, de l’esprit, comme nous le pensons souvent, on doit sentir que la société deviendroit insupportable par le déluge d’impertinences dont nous nous inonderions réciproquement. Voilà pourquoi l’usage a ordonné que personne ne feroit son propre éloge dans la société, & qu’on s’abstiendroit de trop parler de soi-même ; il n’y a qu’avec ses intimes amis, ou devant des philosophes qu’il est permis de se rendre justice. On ne blâme plus aujourd’hui la réponse du prince Maurice d’Orange, qui, lorsqu’on lui demanda qui étoit le plus grand général de son tems, répondit : le marquis de Spinola est le second. L’éloge qu’il se donnoit ainsi lui-même eût été plus choquant s’il n’avoit su le déguiser. Il faudroit être bien borné pour s’imaginer que l’on doit prendre à la lettre toutes les marques de déférence mutuelle, & qu’un homme qui ignoreroit son mérite & ses bonnes qualités, en seroit plus estimable. On regarde favorable-