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Depuis quarante-huit heures on avait préparé un radeau, long de 20 m., large de sept. Deux mâts de hune formaient les pièces principales et étaient placés sur les côtés ; quatre autres mâts, dont deux de même longueur et de même force que les premiers, étaient réunis deux à deux au centre de la machine. Des planches clouées par dessus ce premier plan formèrent une espèce de parquet. Le tout était monté sur des tonneaux vides, hermétiquement bouchés. Ce radeau était bien conçu dans son plan, mais mai construit, et l’on avait négligé d’y mettre, sur les côtés, des garde-fous et des rebords, de sorte que la moindre vague, en déferlant, le balayait.

Vers sept heures du matin, le 5 juillet, on fit descendre sur le radeau 122 militaires, officiers et soldats de terre, puis 29 marins et passagers civils, parmi lesquels Alexandre Corréard, et une femme, notre compatriote, en tout 152 personnes. Corréard devait prendre place dans une des embarcations ; mais douze des ouvriers qu’il commandait ayant été désignés pour le radeau, il crut de son devoir de ne pas se séparer de la majeure partie de ceux qui lui avaient été confiés et qui avaient promis de le suivre partout où l’exigerait le besoin du service.

À peine cinquante hommes y furent-ils descendus que le radeau s’enfonça de plus d’un pied et la submersion continua à mesure que l’embarquement se poursuivait. « Il était impossible, écrit Corréard, de faire un pas sur le radeau ; il s’était enfoncé au moins de trois pieds sur l’avant et, sur l’arrière, on avait de l’eau jusqu’à la ceinture. On avait placé sur le radeau beaucoup de quarts de farine, cinq barriques de vin et deux pièces à eau. On avait omis d’y mettre un seul biscuit. Au moment où nous débarquions de la frégate, on nous jeta du bord à peu près vingt-cinq livres de biscuit dans un sac qui tomba à la mer. On l’en retira avec peine ; il ne formait plus qu’une pâte ; nous le conservâmes néanmoins dans cet état. »