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Barbu, furieusement troué et crevassé comme par les coups de cornes d’un taureau gigantesque. Derrière soi, sous les ogives d’un porche où s’abrite un puits à demi comblé, on a les quatre colonnes de granit gris données par le pape au grand empereur d’Aix-La-Chapelle, qui vinrent au huitième siècle de Ravenne aux bords du Rhin, et au quinzième des bords du Rhin aux bords du Neckar, et qui, après avoir vu tomber le palais de Charlemagne à Ingelheim, regardent crouler le château des palatins à Heidelberg.

Tout le pavé de la cour est obstrué de perrons en ruine, de fontaines taries, de vasques ébréchées. Partout la pierre se fend et l’ortie se fait jour.

Les deux façades de la renaissance qui donnent tant de splendeur à cette cour sont en grès rouge, et les statues qui les couvrent sont en grès blanc, admirable combinaison qui prouve que ces grands sculpteurs étaient aussi de grands coloristes. Avec le temps, le grès rouge s’est rouillé et le grès blanc s’est doré. De ces deux façades, l’une, celle de Frédéric IV, est toute sévère ; l’autre, celle d’Othon-Henri, est toute charmante. La première est historique, la seconde est fabuleuse. Charlemagne domine l’une, Jupiter domine l’autre.

Plus on contemple ces deux palais juxtaposés, plus on pénètre dans leurs merveilleux détails, plus la tristesse vous gagne. Étrange destinée des chefs-d’œuvre de marbre et de pierre ! Un stupide passant les défigure, un absurde boulet les anéantit, et ce ne sont pas les artistes, ce sont les rois qui y attachent leurs noms. Personne ne sait aujourd’hui comment s’appelaient les divins hommes qui ont bâti et sculpté la muraille de Heidelberg. Il y a là de la renommée pour dix grands artistes qui flotte au-dessus de cette illustre ruine sans pouvoir se fixer sur des noms. Un Boccador inconnu a inventé le palais de Frédéric IV ; un Primatice ignoré a composé la façade d’Othon-Henri ; un César Césariano perdu dans l’ombre a dessiné les pures ogives à triangle équilatéral du manoir de Louis V. Voici des arabesques de Raphaël, voici des figurines de Benvenuto. Les ténèbres couvrent tout cela. Bientôt ces poèmes de marbre mourront, les poètes sont déjà morts. Ne le