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Quand on approfondit le rôle que joue l’Angleterre dans les affaires universelles et en particulier sa guerre, tantôt sourde, tantôt flagrante, mais perpétuelle, avec la France, il est impossible de ne pas songer à ce vieil esprit punique qui a si longtemps lutté contre l’antique civilisation latine. L’esprit punique, c’est l’esprit de marchandise, l’esprit d’aventure, l’esprit de navigation, l’esprit de lucre, l’esprit d’égoïsme, et puis c’est autre chose encore, c’est l’esprit punique. L’histoire le voit poindre au fond de la Méditerranée, en Phénicie, à Tyr et à Sidon. Il est antipathique à la Grèce, qui le chasse. Il part, longe la côte d’Afrique, y fonde Carthage, et de là cherche à entamer l’Italie. Scipion le combat, en triomphe, et croit l’avoir détruit. Erreur ! Le talon du consul n’a écrasé que des murailles ; l’esprit punique a survécu. Carthage n’est pas morte. Depuis deux mille ans elle rampe autour de l’Europe. Elle s’est d’abord installée en Espagne, où elle semble avoir retrouvé dans sa mémoire le souvenir phénicien du monde perdu ; elle a été chercher l’Amérique à travers les mers, s’en est emparée, et, nous avons vu comment, crénelée dans la péninsule espagnole, elle a saisi un moment l’univers entier. La providence lui a fait lâcher prise. Maintenant elle est en Angleterre ; elle a de nouveau enveloppé le monde, elle le tient, et elle menace l’Europe. Mais, si Carthage s’est déplacée, Rome s’est déplacée aussi. Carthage l’a retrouvée vis-à-vis d’elle, comme jadis, sur la rive opposée. Autrefois Rome s’appelait Urbs, surveillait la Méditerranée et regardait l’Afrique ; aujourd’hui Rome se nomme Paris, surveille l’océan et regarde l’Angleterre.

Cet antagonisme de l’Angleterre et de la France est si frappant, que toutes les nations s’en rendent compte. Nous venons de le représenter par Carthage et Rome ; d’autres l’ont exprimé différemment, mais toujours d’une manière frappante et en quelque sorte visible. L’Angleterre est le chat, disait le grand Frédéric, la France est le chien. En droit, dit le légiste Houard, les anglais sont des juifs, les français des chrétiens. Les sauvages mêmes semblent sentir vaguement cette profonde antithèse des deux grandes nations policées. Le Christ, disent les indiens de l’Amérique, était un français que les anglais crucifièrent à Londres.