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l’instant où un tournant du chemin me l’a brusquement cachée.

Vous connaissez mon goût pour les grands voyages à petites journées, sans fatigue, sans bagage, en cabriolet, seul avec mes vieux amis d’enfance, Virgile et Tacite. Vous voyez donc d’ici mon équipage.

J’ai pris le chemin de Châlons, car je connais la route de Soissons pour l’avoir suivie il y a quelques années ; et, grâce aux démolisseurs, elle n’a aujourd’hui qu’un médiocre intérêt. Nanteuil-le-Haudouin a perdu son château bâti sous François Ier. Villers-Cotterets a converti en dépôt de mendicité le magnifique manoir du duc de Valois, et là, comme presque partout, sculptures et peintures, tout l’esprit de la renaissance, toute la grâce du seizième siècle a honteusement disparu sous la racloire et le badigeon. Dammartin a rasé son énorme tour du haut de laquelle on voyait Montmartre distinctement, à neuf lieues de distance, et dont la grande lézarde verticale avait fait naître ce proverbe que je n’ai jamais bien compris : Il est comme le château de Dammarlin qui crève de rire. Aujourd’hui veuf de sa vieille bastille dans laquelle l’évêque de Meaux, quand il était en querelle avec le comte de Champagne, avait le droit de se réfugier avec sept personnes de sa suite, Dammartin n’engendre plus de proverbes et ne donne plus lieu qu’à des notes littéraires du genre de celle-ci, que j’ai copiée textuellement, à l’époque où j’y passai, dans je ne sais plus quel petit livre local étalé sur la table de l’auberge :

« Dammartin (Seine-et-Marne), petite ville sur une colline. On y fabrique de la dentelle. Hôtel : Sainte-Anne. Curiosités : l’église paroissiale, la halle, 1,600 habitants. »

Le peu de temps accordé pour dîner par ce tyran des diligences appelé le « conducteur » ne me permit pas alors de vérifier jusqu’à quel point il était vrai que les seize cents habitants de Dammartin fussent tous des curiosités. J’ai donc pris par Meaux.

Entre Claye et Meaux, par le plus beau temps et le plus beau chemin du monde, la roue de mon cabriolet a cassé. Vous savez que je suis de ces hommes qui continuent leur route ; le cabriolet renonçait à moi, j’ai renoncé au