Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rhin, une espèce d’immense araignée formée par deux longues perches souples et courbes, croisées transversalement, réunies à leur milieu et à leur point culminant par un gros nœud rattaché à un levier, et plongeant leurs quatre pointes dans l’eau. C’est une araignée en effet.

Par instants, dans cette solitude et dans ce silence, le levier mystérieux s’ébranle, et l’on voit la hideuse bête se soulever lentement, tenant entre ses pattes sa toile, au milieu de laquelle saute et se tord un beau saumon d’argent.

Le soir, après avoir fait une de ces magnifiques courses qui ouvrent jusque dans leurs derniers caecums les cavernes profondes de l’estomac, on rentre à Saint-Goar, et l’on trouve au bout d’une longue table, ornée de distance en distance de fumeurs silencieux, un de ces excellents et honnêtes soupers allemands où les perdreaux sont plus gros que les poulets. Là, on se répare à merveille, surtout si l’on sait se plier comme le voyageur Ulysse aux mœurs des nations, et si l’on a le bon esprit de ne pas prendre en scandale certaines rencontres bizarres qui ont lieu quelquefois dans le même plat, par exemple, d’un canard rôti avec une marmelade de pommes, ou d’une hure de sanglier avec un pot de confitures. Vers la fin du souper, une fanfare mêlée de mousquetade éclate tout à coup au dehors. On se met en hâte à la fenêtre. C’est le hussard français qui fait travailler l’écho de Saint-Goar. L’écho de Saint-Goar n’est pas moins merveilleux que l’écho du Lurley. La chose est admirable en effet. Chaque coup de pistolet devient coup de canon dans cette montagne. Chaque dentelle de la fanfare se répète avec une netteté prodigieuse dans la profondeur ténébreuse des vallées. Ce sont des symphonies délicates, exquises, voilées, affaiblies, légèrement ironiques, qui semblent se moquer de vous en vous caressant. Comme il est impossible de croire que cette grosse montagne lourde et noire ait tant d’esprit, au bout de très peu d’instants on est dupe de l’illusion, et le penseur le plus positif est prêt à jurer qu’il y a là-bas, dans ces ombres, sous quelque bocage fantastique, un être surnaturel et solitaire, une fée quelconque, une Titania qui s’amuse à parodier délicieusement les musiques hu-