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romaine, un germe inaperçu avait été déposé dans le Rhingau. Le christianisme, cet aigle divin qui commençait à déployer ses ailes, avait pondu dans ces rochers son œuf, qui contenait un monde. À l’exemple de Crescentius, qui, dès l’an 70, évangélisait le Taunus, saint Apollinaire avait visité Rigomagum ; saint Goar avait prêché à Bacchiara ; saint Martin, évêque de Tours, avait catéchisé Confluentia ; saint Materne, avant d’aller à Tongres, avait habité Cologne ; saint Eucharius s’était bâti un ermitage dans les bois près de Trêves ; et, dans les mêmes forêts, saint Gézélin, debout pendant trois ans sur une colonne, avait lutté corps à corps avec une statue de Diane, qu’il avait fini par faire crouler, pour ainsi dire en la regardant. À Trêves même, beaucoup de chrétiens obscurs étaient morts de la mort des martyrs dans la cour du palais des préfets de la Gaule, et l’on avait jeté leur cendre au vent ; mais cette cendre était une semence.

La graine était dans le sillon ; mais, tant que dura le passage des barbares, rien ne leva.

Bien au contraire, il se fit un écroulement profond où la civilisation sembla tomber ; la chaîne des traditions certaines se rompit ; l’histoire parut s’effacer ; les hommes et les événements de cette sombre époque traversèrent le Rhin comme des ombres, jetant à peine au fleuve un reflet fantastique, évanoui aussitôt qu’aperçu.

De là, pour le Rhin, après une période historique une période merveilleuse.

L’imagination de l’homme, pas plus que la nature, n’accepte le vide. Où se tait le bruit humain, la nature fait jaser les nids d’oiseaux, chuchoter les feuilles d’arbres et murmurer les mille voix de la solitude. Où cesse la certitude historique, l’imagination fait vivre l’ombre, le rêve et l’apparence. Les fables végètent, croissent, s’entremêlent et fleurissent dans les lacunes de l’histoire écroulée, comme les aubépines et les gentianes dans les crevasses d’un palais en ruine.

La civilisation est comme le soleil ; elle a ses nuits et ses jours, ses plénitudes et ses éclipses, elle disparaît et reparaît.

Dès qu’une aube de civilisation renaissante commença à