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Un jour, je n’en doute pas, une pensée pieuse et sainte viendra à quelque roi ou à quelque empereur. On ôtera Charlemagne de l’armoire où des sacristains l’ont mis, et on le replacera dans sa tombe. On réunira religieusement tout ce qui reste de ce grand squelette. On lui rendra son caveau byzantin, ses portes de bronze, son sarcophage romain, son fauteuil de marbre exhaussé sur l’estrade de pierre et orné de quatorze plaques d’or. On reposera le diadème carlovingien sur ce crâne, la boule de l’empire sur ce bras, le manteau de drap d’or sur ces ossements. L’aigle d’airain reprendra fièrement sa place aux pieds de ce maître du monde. On disposera autour de l’estrade toutes les châsses d’orfèvrerie et de diamants comme les meubles et les coffres de cette dernière chambre royale ; et alors, — puisque l’église veut qu’on puisse contempler ses saints sous la forme que leur a donnée la mort, — par quelque lucarne étroite taillée dans l’épaisseur du mur et croisée de barreaux de fer, à la lueur d’une lampe suspendue à la voûte du sépulcre, le passant agenouillé pourra voir au haut de ces quatre marches blanches qu’aucun pied humain ne touchera plus, sur un fauteuil de marbre écaillé d’or, la couronne au front, le globe à la main, resplendir vaguement dans les ténèbres ce fantôme impérial qui aura été Charlemagne.

Ce sera une grande apparition pour quiconque osera hasarder son regard dans ce caveau, et chacun emportera de cette tombe une grande pensée. On y viendra des extrémités de la terre, et toutes les espèces de penseurs y viendront. Charles, fils de Pépin, est en effet un de ces êtres complets qui regardent l’humanité par quatre faces. Pour l’histoire, c’est un grand homme comme Auguste et Sésostris ; pour la fable, c’est un paladin comme Roland, un magicien comme Merlin ; pour l’église, c’est un saint comme Jérôme et Pierre ; pour la philosophie, c’est la civilisation même qui se personnifie, qui se fait géant tous les mille ans pour traverser quelque profond abîme, les guerres civiles,